CHAPITRE 10

 

 

Après avoir démorphosé pour réintégrer mon corps normal, je téléphonai à tous les autres. Tobias partit de son côté en déclarant qu’il nous rejoindrait plus tard à la grange, chez Cassie. J’étais en train de parler à Cassie sur l’appareil de la cuisine lorsque Tom fit son apparition.

— Ah, c’est là que tu étais, s’exclama-t-il.

Je couvris le micro du combiné.

— Ouais. Tobias m’a dit que tu m’avais cherché.

— Je voulais simplement que tu fasses taire ton cabot, expliqua-t-il en faisant pivoter une chaise et en l’enfourchant.

J’hésitai. Je n’avais pas envie que Tom entende ce que je racontais.

— Je passe te voir dans deux heures, d’accord ? dis-je à Cassie et je raccrochai.

Je regardai Tom. Il est plus grand que moi, bien que je ne sois pas vraiment petit. Ses cheveux sont plus foncés, presque noirs, alors que les miens sont bruns.

Je lui avais toujours fait confiance. Il n’était pas de ces garçons qui brutalisent leur petit frère, et nous avions toujours été très proches. Du moins, jusqu’à cette année, parce qu’on ne se voyait plus guère, surtout depuis qu’il s’était inscrit à un club appelé le Partage. Ses membres faisaient des tas d’activités ensemble, si bien que Tom était souvent occupé.

Normalement, Tom aurait dû être le premier à qui j’aurais dû raconter ce qui m’était arrivé mais, en le regardant manger sa tartine, il me vint une curieuse impression. Une impression qui me disait : « Non, ça doit rester un secret. Même vis-à-vis de Tom. »

Je préférai donc lui avouer la deuxième chose qui m’ennuyait.

— Je… euh… ne suis pas qualifié dans l’équipe.

— Quelle équipe ? demanda-t-il, l’air intrigué.

— Quelle équipe ? Mais l’équipe de basket, voyons. Ton ancienne équipe.

— Ah. Pas de chance.

— Pas de chance ? m’exclamai-je, sidéré qu’il prenne la chose à la légère.

— Ce n’est jamais que du sport, remarqua-t-il en avalant un gros morceau de tartine.

— Que du sport ? répétai-je malgré moi.

Tom considérant le sport comme secondaire ? Impensable. Le sport était toute sa vie.

— Eh oui, soupirai-je. Faut croire que je n’ai pas ta classe.

Il haussa les épaules.

— De toute façon, je ne fais plus partie de l’équipe. J’ai démissionné il y a deux jours…

Je faillis dégringoler de ma chaise.

— Tu as démissionné ? Tu as laissé tomber l’équipe ? Et tu n’as rien dit ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Je n’en ai pas parlé parce que je savais que papa et toi en feriez tout un plat. Écoute, il y a des choses plus importantes que de lancer un ballon dans un panier, m’expliqua-t-il avec un drôle de regard qui me fit penser que, pour lui, ce qui comptait le plus dans la vie, c’était les filles. D’ailleurs, ajouta-t-il, nous avons des activités autrement plus intéressantes, au Partage. Tu devrais peut-être t'y faire inscrire.

J’étais stupéfié.

Manifestement, Tom et moi étions plus éloignés l’un de l’autre que je ne le croyais.

Notre conversation terminée, je sortis tondre la pelouse. Je tonds la pelouse tous les samedis. C’est ma tâche principale. Ça et sortir les ordures, ce que je déteste parce qu’on est obligé de les trier pour le recyclage.

Mes travaux ménagers expédiés, je sautai sur mon vélo et filai.

Je m’étais mis d’accord avec les autres pour qu’on se retrouve à la ferme de Cassie. Ce n’est pas une vraie ferme, bien que c’en ait été une dans le passé. Et il y a toujours des chevaux et une vache. Seulement, l’imposante grange rouge abrite maintenant le Centre de sauvegarde de la vie sauvage. C’est le père de Cassie qui le dirige. On y soigne toutes les bêtes blessées, sauf les animaux de compagnie. Il y a toujours des tas d’oiseaux, ainsi que des écureuils, des chevreuils, des blaireaux, etc. Parfois, on peut même y voir un lynx, un renard, ou même un loup.

La mère de Cassie est également vétérinaire, mais elle exerce au Parc, cet immense centre de loisirs qui comprend également un zoo… qui ressemble en fait plutôt à une réserve naturelle. Heureusement pour elle, Cassie adore les animaux. Avec de tels parents, c’est une chance.

Moi, j’ai un chien. Tobias a un chat. Cassie a tout, depuis les porcs-épics jusqu’aux ours blancs.

Lorsque j’arrivai à la ferme, Marco, Tobias et Rachel attendaient déjà devant la grange. Rachel bronzait au soleil, la tête renversée en arrière. Cassie n’était pas encore là. Je me dis qu’elle devait être occupée. Elle avait toujours des tonnes de choses à faire.

— Salut, les gars, fis-je.

Rachel ouvrit les yeux et me lança aussitôt un journal.

— Lis ça, me dit-elle en désignant un article.

Le papier en question n’était pas très long. Il disait que des troubles s’étaient produits la veille au soir sur le chantier de construction. La police avait reçu de nombreux coups de téléphone de gens prétendant avoir vu des soucoupes volantes y atterrir, suivies de lumières éblouissantes.

— Super, dis-je en levant les yeux. Maintenant, la police est au courant. C’est toujours ça.

— Continue, insista Rachel.

L’article disait ensuite que la police, en arrivant sur les lieux, avait trouvé un groupe d’adolescents jouant avec des feux d’artifice. Les jeunes s’étaient sauvés.

Les feux d’artifice avaient été découverts sur place. La présence de soucoupes volantes avait fait rire le porte-parole de la police. « Il n’y avait qu’une bande de gosses jouant à un endroit où ils n’auraient pas dû être, avait-il déclaré. Et pas la moindre soucoupe volante. Les gens ne devraient pas avoir tant d’imagination. »

— Mais c’est un tissu de mensonges, m’écriai-je.

— Ding ! ding ! ding ! ding ! Réponse exacte. Johnny, indiquez à notre aimable concurrent combien il a gagné, dit Marco.

— Tu as lu la fin ? me fit remarquer Rachel.

Je lus le dernier paragraphe. Il me laissa sans voix, je vous jure. La police offrait une récompense pour tout renseignement concernant les adolescents.

— C’est après nous qu’ils en ont, précisa Marco.

— Mais pourquoi la police serait-elle… Je veux dire : pourquoi ce mensonge ? me demandai-je à haute voix, mais la réponse était évidente.

Marco eut un rire moqueur.

— Voyons voir… Serait-ce parce que les policiers sont des Contrôleurs ?

— Pas tous, enfin je pense, précisa Tobias.

— Si les Contrôleurs ont infiltré la police, comment savoir qui d’autre ils tiennent en leur pouvoir ? Des professeurs ? Des gens du gouvernement ? Les journaux et la télé ?

— Des profs de math, certainement, ironisa Marco.

Nous avons regardé les alentours comme si nous nous attendions à trouver une armée de Contrôleurs.

— J’ai essayé de me convaincre que tout cela n’était qu’un rêve, avoua Rachel.

— Moi aussi, dis-je.

Pendant un instant, personne n’ouvrit la bouche. Nous éprouvions tous la même affreuse sensation d’être seuls au monde. Comme si, brusquement, nous étions confrontés à un problème qui nous dépassait vraiment, et de beaucoup.

Ce fut Marco qui prit le premier la parole.

— Au fond, qu’est-ce qui nous oblige à nous mêler de ça ? Allez, on laisse tomber. On n’en parle plus. Pas question de morphoser. On s’occupe de nous et c’est tout.

Tobias et Rachel se tournèrent vers moi. Ils s’attendaient à ce que je réponde à Marco.

— Marco, commençai-je, je suis à moitié d’accord avec toi…

Marco devint soudain hystérique.

— C’est un truc à se faire tuer ! s’écria-t-il. Vous ne comprenez donc pas ? Vous avez vu ce qui est arrivé à l’Andalite. Je veux dire que c’est sérieux, Jake. C’est réel. Réel ! On risque tous de se faire descendre !

Tobias observait Marco du coin de l’œil comme s’il le soupçonnait d’être un dégonflé. Je savais que ce n’était pas le cas. Il avait ses raisons.

Marco secoua la tête. Il s’exprima d’un ton posé.

— Écoutez, je trouve que ces Contrôleurs sont immondes, mais s’il m’arrivait quoi que ce soit… mon père ne s’en remettrait pas.

La mère de Marco était morte deux ans auparavant. Elle s’était noyée. On n’avait pas retrouvé son corps. Le père de Marco, complètement bouleversé, s’était laissé aller. Il avait quitté son emploi de dessinateur industriel parce qu’il ne supportait plus la présence de qui que ce soit. Maintenant, il travaillait comme veilleur de nuit et gagnait à peine de quoi nourrir Marco. Il passait ses journées à dormir ou à regarder la télé sans brancher le son.

— Considérez-moi comme un trouillard si vous voulez, reprit Marco. Ça m’est égal. Mais si jamais je me faisais descendre, mon père ne s’en remettrait pas. Il ne vit plus que pour moi.

Je me demandai si je devais aller lui taper sur l’épaule, mais si je l’avais fait, Marco, parce qu’il était Marco, m’aurait reçu avec un sarcasme.

— Voilà Cassie, annonça Rachel en mettant une main devant ses yeux pour regarder au loin.

Un cheval galopait dans la prairie, sa crinière noire flottant au vent. Je ne vis pas de cavalier.

Le cheval qui ralentit et se dirigea vers nous au petit trot m’inspira soudain une sensation bizarre.

— Cassie et moi, ça fait un bon moment qu’on est là, expliqua Rachel. Elle est vraiment douée. Regardez à quelle vitesse elle fait ça.

Le cheval hennit doucement et commença à fondre. Ses grands yeux marron rétrécirent, son long chanfrein devint une bouche humaine.

Un être mi-cheval mi-Cassie nous sourit en exhibant de grandes dents et nous dit :

— Bonjour, les enfants.

Marco en tomba par terre. Très brutalement. Il n’avait jamais assisté à une animorphe.

— Tout va bien, dis-je en essayant de paraître détendu. Ce n’est que Cassie.

Soucieux de me conduire en gentleman, je détournai les yeux. Quand Tobias et moi avions morphosé, nous avions perdu nos vêtements, mais lorsque Cassie démorphosa, je remarquai qu’elle était moulée dans un justaucorps bleu, le genre de tenue que les filles portent pour faire de la danse.

Je regardai donc et assistai à un spectacle magnifique. Pendant quelques secondes, elle resta mi-cheval mi-humaine. Cela me rappela l’Andalite, et je compris que c’était voulu. Cassie contrôlait la façon dont elle morphosait.

— Bon sang, Rachel, tu avais raison, m’exclamai-je. Cassie est vraiment douée.

Soudain, nous avons entendu des pneus rouler sur le gravier. Nous nous sommes retournés d’un même mouvement. Une voiture bleu et blanc remontait le chemin de terre.

— La police ! s’écria Tobias.

 

L'invasion
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